Une riche journée de partage entre patients et soignants

ID/ Ivan Put

Le 30 avril dernier, l’hôpital Érasme organisait une journée dédiée aux patients MICI. L’objectif ? Les informer sur leur maladie et les différentes modalités de prise en charge et de traitement. « Le patient est au centre de cette prise en charge », explique le Pr Denis Franchimont, « c’est lui qui décide. Il faut lui donner les informations qui lui permettent de prendre ses décisions en toute connaissance de cause. »

L’apport pour l’équipe soignante est également considérable. « Nous dépassons le cadre de la consultation, de l’hôpital », poursuit le directeur de la clinique des MICI à l’hôpital Érasme. « Cela donne à la maladie une dimension sociale : nous sommes ici devant une communauté de gens qui ne se connaissent pas mais qui partagent la même souffrance, qui savent ce que c’est d’être malade. Et cet échange avec les patients est extrêmement riche. »

Ce compte-rendu présente les grandes lignes des interventions de cette journée. Il est possible d’en découvrir l’intégralité en vidéo sur la plateforme brusselsibdgroup.com.

Qu’est-ce que la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse ?

Le Pr Denis Franchimont commence par préciser les différences majeures entre ces deux MICI : la maladie de Crohn touche tout le tube digestif et l’atteinte est segmentaire, tandis que la colite ulcéreuse n’affecte que le côlon et l’atteinte est continue à partir du rectum.

Ces MICI résultent d’une réponse inappropriée du système immunitaire digestif vis-à-vis de la flore microbienne intestinale. « La ‘bonne réponse’ dépend de l’intégrité de la barrière épithéliale intestinale mais aussi d’une flore microbienne intestinale bien équilibrée. Si cette flore est ‘dysbiotique’, le système immunitaire va en quelque sorte ‘se tromper’ et combattre sa propre flore », explique le professeur.

Outre la dysbiose de la flore, quels sont les facteurs propices au déclenchement d’une MICI ? « Notre mode de vie occidental (notamment un excès d’hygiène), une mauvaise éducation du système immunitaire ainsi qu’une susceptibilité génétique. »

Autre acteur majeur : le système nerveux central et périphérique qui communique avec le système immunitaire digestif et la flore. Un état psychique dégradé peut avoir un impact sur leur physiologie. « Les traitements visent donc non seulement à travailler sur la dysbiose, mais également sur notre mode de vie et notre système nerveux central », conclut Denis Franchimont.

Pourquoi et comment suivre les MICI ?

La Dre Leila Amininejad rappelle que s’agissant de maladies chroniques, elles nécessitent un suivi chronique. Ses buts ? Mesurer l’activité de la maladie ; évaluer la réponse au traitement avec pour objectif d’atteindre et de maintenir la rémission clinique ; détecter et prendre en charge d’éventuelles complications et effets secondaires du traitement.

Autre objectif essentiel : l’adhérence du patient à son traitement, que l’on peut adapter voire simplifier. Leila Amininejad souligne ici « le rôle crucial de l’infirmière coordinatrice, l’importance d’une bonne communication avec le médecin et de la prise en charge par une équipe multidisciplinaire pour un suivi optimal ».

Parmi les nombreux outils de suivi, citons les examens cliniques, les prises de sang, la mesure des valeurs CRP et de la calprotectine fécale, l’imagerie médicale et l’endoscopie, nécessaire pour voir si le traitement est efficace sur le plan de la cicatrisation.

Quels sont les risques d’infection en lien avec la maladie ?

« Les risques d’infection, liée à la maladie ou au traitement, sont accrus lorsqu’on est atteint d’une MICI », indique la Dre Alice Hoyois. On distingue deux types d’infection : les opportunistes et les infections graves nécessitant une hospitalisation avec traitement intra-veineux. Les infections opportunistes sont favorisées par la présence conjointe de facteurs de risque intrinsèques et extrinsèques comme l’exposition accrue aux pathogènes ou une immunosuppression. « On essaie toujours de détecter les atteintes virales ou bactériennes afin de prescrire un traitement préventif propre à cette atteinte avant le début du traitement de la MICI. »

Les traitements des MICI qui augmentent les risques infectieux ? Principalement les corticoïdes, les traitements immunosuppresseurs et biologiques. « On examine toujours soigneusement la balance bénéfices-risques du traitement en fonction du patient et de sa maladie. Car il existe aussi des complications infectieuses liées à l’activité de la MICI que le traitement permet d’éviter », insiste Alice Hoyois.

Pourquoi se faire vacciner ?

Selon l’OMS, la vaccination est l’une des interventions de santé publique les plus efficaces, aussi bien au niveau individuel que collectif. En outre, une couverture vaccinale élevée dans la population en général permet de protéger les patients qui ne peuvent pas être vaccinés, comme les immunodéficients.

Dre Haydeh Vafa : « Les patients MICI doivent bénéficier d’une mise à jour vaccinale selon un calendrier spécifique, car il est important d’administrer les vaccins vivants avant d’entamer un traitement immunosuppresseur. » Pourquoi ? Parce que les vaccins vivants sont contre-indiqués sous immunosuppression. Les autres vaccins dits inactivés peuvent en revanche être injectés même pendant la prise de ce type de traitement, bien que l’efficacité vaccinale puisse être moindre.

Les patients MICI courent-ils davantage le risque de développer un cancer ?

Avant de répondre à cette question, la Dre Anneline Cremer en pose une autre : de quel cancer parle-t-on ? Principalement de celui du côlon ou du rectum (CCR). Le risque de le développer est le même que chez tout le monde, il est plus important s’il y a des antécédents familiaux et peut être augmenté lorsqu’on est atteint d’une MICI. « On observe pour ces maladies ce qu’on appelle la séquence ‘inflammation-dysplasie-cancer’. D’une muqueuse colique normale, on passe à une muqueuse inflammatoire. Si cette inflammation n’est pas traitée correctement, elle peut se transformer en dysplasie, qui peut elle-même évoluer en cancer. »

On comprend ici que l’apparition éventuelle d’un CCR est directement liée à une inflammation active et que si elle est bien traitée, on diminue de facto le risque de cancer. D’où la mise en place de stratégies de dépistage et de surveillance de dysplasie colique spécifiques aux MICI. « Par ailleurs, un CCR évolue très lentement et s’il est diagnostiqué et traité à un stade précoce, la guérison est au rendez-vous dans 95 à 100 % des cas. »

Quels sont les nouveaux traitements ?

« Les objectifs des traitements ont évolué au fil du temps. Aujourd’hui, on ne vise pas seulement la disparition des symptômes digestifs mais bien la rémission profonde », explique la Dre Claire Liefferinckx.

Les traitements se classent en deux catégories : les ‘small molécules’, qui se prennent par la bouche, et les molécules biologiques administrées par voie sous-cutanée ou intraveineuse.

Parmi les ‘small molécules’, on trouve celles qui ont un effet anti-inflammatoire sur la muqueuse et les immunosuppresseurs à l’action non ciblée. Les molécules biologiques, quant à elles, ciblent les médiateurs impliqués dans la réponse inappropriée du système immunitaire – comme le TNFa, l’IL-12, l’IL-23 – afin d’enrayer l’inflammation. « On peut également vouloir empêcher les globules blancs de passer du sang dans la paroi intestinale, ou de produire des molécules inflammatoires (cytokines). »

Quelles sont les nouveautés ? Les firmes pharmaceutiques ont développé d’autres molécules ciblant ce dernier mécanisme (production de cytokines), de nouveaux traitements pour empêcher les globules blancs de sortir de leur zone réservoir, d’autres qui permettent de ne cibler que l’IL 23.

Pourquoi est-ce important de développer d’autres traitements ? « Parce que pour toute une série de patients, on assiste à une absence de réponse primaire, ou une perte de réponse secondaire. La maladie peut aussi prendre des formes agressives induisant un changement fréquent de traitement. Disposer de nouvelles options permet de grossir notre arsenal. »

Comment s’opère le choix du traitement ? Il dépend du type de maladie, des traitements antérieurs, des pathologies associées, des complications liées à la maladie, des projets de vie du patient… « et de son choix. Car in fine, ce traitement lui est destiné. Il a donc son mot à dire à la lecture de ce qui lui aura été expliqué », termine la Dre Liefferinckx.

La psychologie dans la prise en charge des MICI

Romane van Laer, psychologue clinicienne, pratique la thérapie cognitivo-comportementale (TTC). L’objectif ? Face à des situations nouvelles, stressantes, difficiles, permettre l’apprentissage de meilleurs ajustements. Dans le cadre de l’accompagnement d’un patient MICI, cette ‘éducation thérapeutique’ vise à l’aider à acquérir ou à maintenir les compétences – d’autosoins, d’adaptation – dont il a besoin pour gérer au mieux sa vie avec une maladie chronique.

« À l’hôpital Érasme, nous pratiquons la TCC basée sur la pleine conscience », précise Romane van Laer. Cette pratique permet de réduire le stress et l’anxiété chez les personnes atteintes d’une MICI. « Nous leur proposons un programme d’entraînement à la pleine conscience de 8 semaines[1]. Il est ouvert à tous les patients, y compris ceux qui ne sont pas suivis dans notre hôpital », précise Romane van Laer.

La diététique dans la prise en charge des MICI

Pauline van Ouytsel le rappelle d’emblée, à l’heure actuelle, « il n’existe aucun régime ‘anti-inflammatoire’ qui ait prouvé son efficacité. Et il n’y a pas non plus d’aliment déclencheur de poussée. »  Il est toutefois pertinent d’aborder la thématique de l’alimentation, car celle-ci a pour but de couvrir les besoins nutritionnels du patient tout en améliorant son confort digestif. « Elle doit être adaptée à chacun, en fonction de sa tolérance digestive individuelle, en s’adaptant aux phases de la maladie et sans tomber dans les exclusions abusives. »

En période de poussée, on sera attentif à dépister, prévenir et traiter la dénutrition, car elle expose le patient à un risque plus important de développer des infections ou d’autres comorbidités et à une perte d’autonomie. On veillera aussi à adapter l’alimentation en cas d’intolérance transitoire.

Lors des périodes de rémission, « nous prônerons une alimentation plaisir, saine, variée et équilibrée. » Cependant, certains symptômes digestifs peuvent persister et l’on mettra alors en place des mesures hygiéno-diététiques ou spécifiques à des inconforts (ballonnements, diarrhées, constipation) afin de les réduire.

« Consulter un(e) diététicien(ne)[2] est donc bénéfique y compris lorsqu’on est en rémission pour retrouver le plaisir de manger, maintenir ou retrouver une bonne santé, et suivre son évolution pondérale. Et pour faire de l’alimentation votre alliée, et non votre ennemie ! »

Traiter l’esprit par le corps avec le yoga

« Le yoga est une philosophie, un art de vivre, dont la pratique favorisera toujours le bien-être », affirme Pierre Rousseau, CEO et fondateur de Yoga Room. Le mot yoga veut dire ‘union’. « Le but est d’aligner le corps et l’esprit qui, dans le yoga, ne font qu’un : si le corps va bien, l’esprit va mieux. » Le travail sur le corps le renforce en douceur, synchronise mouvement et respiration, permet de (re)créer de l’espace, de la mobilité et une meilleure oxygénation par l’étirement régulier des muscles. « La respiration est aussi notre meilleure amie pour reprendre le contrôle de notre esprit, calmer ses fluctuations. Le yoga favorise ainsi la prise de distance, la relativisation et l’acceptation de soi-même et des situations auxquelles on est confronté. »

Enfin, Pierre Rousseau insiste sur le fait que le yoga peut se pratiquer à tout âge et quelle que soit la maladie ou les problèmes physiques dont on est affecté : « Il suffit de les signaler à votre professeur qui vous proposera alors des variantes des exercices adaptées à votre cas. »

Pour conclure cette matinée très riche en enseignements, le Pr Denis Franchimont nous invite à découvrir la plateforme brusselsibdgroup.com. « Vous y trouverez des infos sur les recherches fondamentales et translationnelles que nous menons, les études cliniques en cours, des actualités et une éducation thérapeutique sur de multiples nouveautés. Nous envisageons aussi de mettre en place une chat-room et de proposer des mini-workshops sur des sujets que vous souhaiteriez voir abordés. N’hésitez pas à nous en faire part ! »

[1] Les informations relatives au programme MBSR sont disponibles sur le site de l’hôpital.

[2] Pour trouver un(e) diététicien, rendez-vous sur www.lesdieteticiens.be ou envoyez un e-mail à gdgastro@gmail.com.