L’infirmière MICI : l’indispensable pivot de l’alliance

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Créer une véritable cohésion entre l’hôpital et le monde extérieur, entre les différents services, et au sein de l’équipe de gastroentérologie : telles sont quelques-unes des volontés exprimées avec enthousiasme par les médecins et le service communication de Vivalia rencontrés lors de la journée MICI de l’hôpital d’Arlon, ce 8 novembre 2019.

journée du patient Crohn à Arlon

Ici, l’organisation d’une journée comme celle consacrée aux MICI procède d’une dynamique d’ouverture. Elle permet de démystifier l’hôpital, de montrer ce qui se passe en son sein.

Ouvrir la citadelle

« Précédemment, l’hôpital était la citadelle du savoir », dit Fabian Namur, directeur de la communication de Vivalia, l’intercommunale des soins de santé en province de Luxembourg, dont fait notamment partie l’hôpital d’Arlon. « Le patient allait s’y faire soigner en n’ayant pas forcément les outils pour comprendre, il en sortait comme d’une sorte de parenthèse. » Aujourd’hui, le centre hospitalier fait partie intégrante de la société : « Il faut en ouvrir les portes et les fenêtres, communiquer – notamment sur les réseaux sociaux – et mener des opérations de sensibilisation, comme cette journée consacrée aux MICI. »

Lever rapidement le tabou

Pour le service de gastroentérologie de l’hôpital d’Arlon, cette journée a plusieurs objectifs. Le premier est de sensibiliser les personnes aux maladies inflammatoires de l’intestin. Jean-Yves Wilputte, gastroentérologue : « Quelques personnes peuvent avoir déjà entendu parler de ces pathologies, mais il est difficile de s’exprimer à propos de diarrhée. Il y a un tabou à lever à cet égard. Or il s’agit d’affections chroniques. Elles altèrent donc la qualité de vie à long terme si elles ne sont pas maîtrisées. Mieux vaut les traiter tôt dans leur évolution, sans attendre que surviennent des complications qui exigent des traitements plus complexes et parfois même le recours à la chirurgie. »

De plus, ne serait-ce que sur le plan médical, un patient n’est pas l’autre, comme le confirme le docteur Wilputte : « Certains patients répondent à un médicament alors que leur voisin, atteint de la même maladie, n’y répondra que pendant quelque temps puis rechutera. Nous devons donc individualiser les traitements. Grâce aux informations recueillies dans la prise de sang par exemple, et aux différentes molécules aujourd’hui à notre disposition, nous adaptons le traitement en fonction de l’importance de la maladie, de sa durée… »

L’importance de l’expérience

Fady Mokkadem, gastroentérologue spécialiste des MICI à l’hôpital d’Arlon, aborde quant à lui la deuxième cible visée : « Outre les patients, il nous paraît encore plus important d’informer leur entourage, famille, amis, collègues de travail… La plupart des gens projettent sur la personne atteinte d’une MICI ce qu’ils pensent connaître de la maladie. Et c’est une erreur car ce faisant, ils la stigmatisent. Il faut qu’ils puissent l’entourer en tant que ‘personne’, avec ses difficultés. Des difficultés qui la touchent sur beaucoup de plans : social, professionnel, émotionnel, sexuel, financier. La journée de sensibilisation d’aujourd’hui permet à l’entourage de ressentir l’expérience du patient MICI et de créer une interaction authentique entre eux. »

Dans leur pratique quotidienne, les gastroentérologues ont à leur disposition l’IBD Disk, un outil très utile pour rendre plus concrète cette ‘expérience’. Ce formulaire comporte non seulement des questions sur les douleurs abdominales, les diarrhées, mais également bien d’autres relatives à la fatigue, le sommeil, l’émotion etc. Autrement dit, le vécu du patient. Une fois le questionnaire rempli, on obtient un diagramme parfois surprenant : alors que la réponse du patient au niveau organique est excellente, il peut mettre à jour des souffrances totalement insoupçonnées. Et Fady Mokkadem de revenir sur la perception de l’entourage : « Certaines personnes viennent en consultation accompagnées de leur conjoint. Lorsqu’elles répondent au questionnaire de l’IBD Disk, il arrive régulièrement que leur partenaire ne découvre qu’à ce moment-là ce qu’elles ressentent vraiment. Cela permet de créer des interactions très proches, et de résoudre certaines situations difficiles. »

De la compliance à l’alliance thérapeutique

Il y a 15 ou 20 ans, on s’inquiétait surtout de la ‘compliance’ du patient. Une attitude inadéquate pour traiter un patient MICI. On est donc passé à un deuxième stade : l’adhésion thérapeutique. Il s’agissait alors de lui proposer un projet, de lui en présenter les forces et les faiblesses et ensuite de lui demander s’il était d’accord ou non d’y adhérer. Certaines études montrent en effet que 40 % de l’efficacité thérapeutique dépend de l’adhésion du patient au traitement.

Fady Mokkadem : « De nos jours, nous tenons compte non seulement des PROM (Patient Reported Outcomes Measures, ndlr.) mais aussi des PREMS (Patient Reported Experience Measures, id.). On quitte alors le concept d’adhésion pour passer à celui d’alliance thérapeutique. Pour que celle-ci puisse s’établir, il faut donner au patient la possibilité de nous parler de choses beaucoup plus personnelles, pratiques, qui concernent sa vie de tous les jours. Par exemple : ‘Non, je ne peux pas manger ceci ou cela parce que… Je ne peux pas faire ceci ou cela parce que je n’en ai pas les moyens financiers, je n’ai pas de voiture, personne qui peut m’aider’ etc. Certes, créer cette alliance prend beaucoup de temps au départ. L’alliance se construit. Mais une fois construite, la poursuivre devient très simple, car nous avons alors établi une relation authentique. »

Le chaînon manquant

Jean-Yves Wilputte : « Ici à Arlon, nous sommes quatre gastroentérologues : Michel Jungers, Annick Piret, le docteur Mokkadem et moi-même. Nous travaillons également avec une diététicienne formée dans le domaine des MICI, ainsi qu’une psychologue qui est aussi tabacologue. Une chance pour nous car nous savons que lorsqu’on a une maladie inflammatoire de l’intestin, en particulier la maladie de Crohn, il faut arrêter de fumer. Nous disposons donc d’une véritable équipe multidisciplinaire. »

Toutefois, pour que l’alliance dont parle Fady Mokkadem fonctionne, il manque une personne dans l’équipe de gastroentérologie d’Arlon. La ‘soudure’ de cette équipe. Fady Mokkadem : « Je disais que l’alliance suppose que le patient confie des éléments personnels à ses soignants. Mais la plupart du temps, il dira certaines choses au gastroentérologue, et d’autres à la psychologue, d’autres encore à la diététicienne. Pour que ces informations soient partagées et communiquées à tous les membres du service, que nous puissions nous réunir pour parler des éventuels problèmes mis à jour et les résoudre, il nous faut une IBD nurse. Toutes les équipes de qualité – absolument toutes ! –  en compte au moins une. La présence d’une infirmière MICI est devenu un véritable standard de qualité, à tel point qu’il existe aujourd’hui des formations permanentes au niveau européen. »

L’infirmière MICI : le pivot central

Quel est exactement le rôle de cette infirmière MICI ? « Elle est le point de contact des patients et des familles, elle est le relais entre ceux-ci et le médecin ainsi que les autres membres de l’équipe multidisciplinaire », explique le docteur Mokkadem. « Comme l’a dit Jean-Yves Wilputte, les MICI peuvent prendre d’innombrables formes en fonction des personnes. Chaque MICI est totalement différente de l’autre. Si l’on applique le même traitement à tout le monde, on ne fait pas du bon travail. Nous devons faire du ‘sur mesure’ pour offrir à notre communauté de patients et leurs familles les meilleurs soins possible. Créer un projet, sous la forme d’un trajet de soin. Nous l’avons rédigé : qui fait quoi et comment. Il doit maintenant être appliqué. Sans l’IBD nurse, c’est vraiment compliqué, voire impossible. »

Ce qui bloque ? Le financement qui permettrait de l’engager. Docteur Wilputte  : « Les études sont là pour prouver l’efficacité d’une telle infirmière. Ce poste est reconnu et financé pour les équipes traitant le diabète, en oncologie aussi. Reste à convaincre nos hommes et femmes politiques de faire de même pour les services de gastroentérologie. »

Jean-Yves Wilputte